philippe chavaroche

philippe chavaroche

Peut-on repenser le "tour de service"?

Peut-on repenser le « tour de service » ?

 

 

Pratique quasi-généralisée dans les établissements de type Foyer de vie accueillant des personnes handicapées... le tour de service pour la desserte des tables,  la vaisselle, le balayage...

On mesure combien cette pratique repose sur des valeurs éducatives très fortes : l'apport de sa contribution à la collectivité, le sens du service, l'égalité...

Dans bien des cas, ces services sont organisés par les professionnels, la fameux tableaux où sont inscrits les noms pour la semaine, le mois... selon les usages.

 

Mais ces services sont bien souvent aussi la cause de troubles, revendications, agressivité... chez les résidents, entre ceux qui ne veulent pas les faire, ceux qui en refusent le principe même, ceux qui en font plus que les autres (et le font remarquer!), ceux qui peut-être n'en ont pas les capacités...

La présence des éducateurs dans ce système n'est également pas très claire... pourquoi ne sont-ils pas, la plupart du temps, inscrits eux-mêmes dans le tour de service alors qu'ils bénéficient comme les usagers de ces services... sont-ils là pour superviser (surveiller?)... pour « boucher les trous » quand l'un des participants est absent ou indisponible ?

 

On pense certainement que les valeurs sous-jacentes à ces services sont incontournables, indiscutables, qu'elles participent de la démarche éducative et en sont même au fondement.

Mais, si ces valeurs sont effectivement bénéfiques, l'erreur serait de penser qu'elles sont automatiquement partagées, ou du moins qu'elles devraient l'être, par les tous les usagers. Nombre d'entre-eux, du fait de leur troubles psychiques, sont dans en grandes difficultés ou dans l'incapacité d'intégrer ces valeurs de sociabilité. Dans les pathologies abandonniques par exemple, ces injonctions à être serviable avec les autres, à se situer dans un rapport d'égalité dans le groupe... peuvent être de véritables attaques venant réactualiser chez eux des souffrances narcissiques primaires car mettant en péril leur recherche éperdue de reconnaissance exclusive. On me rapportait récemment qu'un résident dans cette problématique avait agressé violemment une éducatrice seulement parce qu'elle lui demandait de venir faire son service. Dans d'autres profils, psychotiques par exemple, ces exigences sociales peuvent ne pas avoir de sens et même être vécues comme persécutrices.

 

Peut-on alors repenser ce système... peut-être ne plus rendre ce service obligatoire pour tous, l'organiser différemment pour que chacun s'y retrouve et que cela soit, finalement, moins conflictuel ?

J'entends déjà les remarques : « si on ne leur demande plus rien... ils vont se croire à l'hôtel ! »... « c'est toujours les mêmes qui vont le faire ! »... et autres objections montrant que l'abandon des valeurs éducatives du service est difficile.

Il ne s'agit pas bien sûr d'abandonner l'idée que dans un collectif, il y a des tâches à faire qui bénéficient à l'ensemble, rendent la vie quotidienne plus agréable... mais pourquoi ne peut-on penser qu'ils peuvent entrer dans une autre logique que celle du « tous » ?

Ne peut-on par exemple constituer une équipe pour ces services, dont les membres seraient reconnus comme ayant cette compétence, seraient valorisés dans ces tâches, bénéficieraient d'une organisation propre... Dans un établissement ces services sont assurés par une équipe de résidents avec un éducateur... leur travail commence en milieu de matinée où ils dressent les tables, les décorent même pour qu'elles soient plus agréables... ensuite ils mangent ensemble avant les autres donc un repas en petit groupe avec l'éducateur... puis c'est le service à table, ils distribuent les plats, apportent le pain, l'eau, desservent... lorsque les convives sont partis... un petit café et on débarrasse les tables, vaisselle, rangement, balayage... jusque vers 15H30-16H... j'oubliais, ils ont un uniforme de serveur qui les fait reconnaître par les autres résidents, et valorise cette fonction jugée trop souvent comme celle du « larbin ». Dans ce groupe, on peut aussi penser en terme de « métiers », différencier les compétences, les responsabilités... y compris pour l'éducateur... et donc sortir de la logique du « tous »... un résident limité dans ses capacités peut certainement trouver sa place dans ce groupe pour peu qu'une tâche spécifiquement adaptée lui soit donnée.

 

Cette pratique basée non sur l'obligation mais la reconnaissance diminue considérablement les troubles relationnels de certains (un abandonnique peut trouver sa place dans ce système car il y sera reconnu comme unique et non comme interchangeable avec les autres), l'ambiance collective s'en trouve aussi améliorée (les repas moins bruyants dans une salle à manger de collectivité) et on observe moins d'agressivité.

« L'éducatif »... est beaucoup plus présent si l'on considère que cette démarche est avant tout d'aider ces personnes à vivre avec les autres, dans des relations sociales pacifiées, et où chacun, quelque soit son « niveau » et ses troubles ait sa place... Ce qui différencie un « collectif » d'un « tas » de gens !

 

Et les autres... ceux qui ne participent pas à ce service ? Ils peuvent participer à d'autres équipes... tenir le bar... faire partie du comité d'animation... organiser les parties de baby-foot ou de ping-pong... il y a tant de choses à faire... collectivement... dans une institution !



01/03/2015
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