philippe chavaroche

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Echos d'une journée avec Jacques HOCHMANN à Canet en Roussillon le samedi 26 novembre 2011

Échos
d'une « journée avec » Jacques Hochmann

à
Canet en Roussillon

le
samedi 26 novembre 2011

 

A l'initiative des associations APEX, ÉQUINOXE et AFPREA et
de notre ami Michel Balat, Jacques Hochmann était invité à venir
parler des thèmes qui lui sont chers comme c'est la règle pour ces
journées.

 

Professeur de pédopsychiatre, psychanalyste, historien de la
psychiatrie (on lui doit entre-autres le très remarquable « Histoire
de l'autisme » publié en 2009 chez Odile Jacob) Jacques
Hochmann nous a tout d'abord retracé son parcours. Après sa
formation et un séjour aux Etats-Unis où il travaille notamment les
questions de dynamique de groupe,  il est psychiatre au Vinatier à
Lyon. Dans les années 60, il est chargé de mettre en place le
secteur psychiatrique dans l'agglomération de Villeurbanne. Il y
développe l'idée d'une « psychiatrie communautaire » où
le travail des soignants auprès des malades est en étroite
articulation avec les autres acteurs sociaux de la cité :
enseignants, travailleurs sociaux, police, municipalité... Il se
spécialise peu à peu dans le soin aux enfants autistes pour
lesquels il met en œuvre les mêmes idées : soigner ces
enfants en lien étroit avec leur environnement : familles,
familles d'accueil, école...

Il évoque devant nous la première fois qu'il découvre un enfant
présentant des troubles de type autistique et fait part de son
désarroi de l'époque devant le peu de repères cliniques et
théoriques qu'avaient les professionnels. Jacques Hochmann, tout en
reconnaissant des désaccords avec lui, dit l'intérêt qu'il a eu à
lire et rencontrer à plusieurs reprises Bruno Bettelheim, qui, à
cette époque était un des seuls à avoir élaboré, à l'école
orthogénique de Chicago, une approche structurée de ces enfants,
notamment avec l'idée de les réconcilier avec le monde, eux qui
s'en étaient éloignés. Bruno Bettelheim sera très vivement
critiqué par la suite mais Jacques Hochmann nous invite à le
resituer dans son contexte.

 

Très vite, il se rend compte qu'une des problématiques majeure
de ces enfants et de ne pouvoir s'approprier leur histoire, qu'il
nomme une trouble de la « narrativité », et qui, dit-il,
est différent de la mémoire. Ce qui est en échec chez eux, c'est
la possibilité de se raconter leur histoire interne, qu'il situe
dans ce que Freud appelle le « pré-conscient ». Ce récit
intérieur qui nous soutient doit être soutenu par les soignants et
éducateurs chez l'enfant autiste pour qu'il puisse peu à peu se
l'approprier, le faire sien.

Il va donc dans le service où il reçoit les enfants mettre
l'accent sur la mise en récit de ce qui se passe à la fois dans des
thérapies individualisées mais aussi, et c'est pour lui très
important, dans des moments de groupe où enfants et adultes peuvent
mettre en récit ce qui s'est passé pour eux, en faire une histoire.
Ce travail est l'occasion de mettre en mots les émotions liées à
ces divers évènements, de relier le passé, le présent et
l'avenir, de faire des différences, des oppositions significatives,
des articulations... pour lutter contre les effets d'homogénéisation
de la pensée autistique. Il s'agit de faire du lien en se remettant
à penser ensemble (ce qui est fréquemment mis en difficulté par
les autistes)

Il se rapproche du concept de Paul Ricoeur, « l'identité
narrative » qui est constitué de « l'idem » (être
semblable à l'autre, « soi-même comme un autre») et
« l'ipse » (être semblable à soi-même, être en
présence de soi-même)

Jacques Hochmann va également développer une idée qui lui est
chère en ce moment, c'est celle « d'empathie » (il
prépare d'ailleurs un livre sur ce sujet qui doit sortir
prochainement). Il fait le constat que ce concept est devenu un peu
« fourre-tout », qu'il est employé à tort et à travers
et qu'il a perdu peut-être de sa pertinence.

Il rappelle que l'empathie est la tentative de comprendre de
l'intérieur ce qui se passe en l'autre, d'essayer d'adopter son
point de vue (à la différence de la « sympathie » qui,
tout en étant une reconnaissance et une compréhension bienveillante
de l'autre, reste à l'extérieur de son vécu) 

La phénoménologie qui se développe en France dans les années
50 va aller dans le même sens.

L'empathie apparaît comme mode de connaissance de l'autre dans la
mouvance de la psychiatrie américaine (avant qu'elle ne devienne ce
qu'elle est!) où il s'agit de comprendre le point de vue du malade
mental pour nouer avec lui une relation thérapeutique.

Jacques Hochmann évoque à ce propos la question du
contre-transfert qui constitue un outil de connaissance de l'autre
par les réactions émotionnelles et affectives qu'il vient susciter
chez nous et que l'on peut lui attribuer. Si, au début et notamment
chez Freud, le contre-transfert était considéré comme un
« parasite » que le psychanalyste devait absolument
maîtriser, il est maintenant valorisé comme cette possibilité
d'approcher l'autre en soi-même.

Historien de la psychiatrie, Jacques Hochmann nous fait part de
ses inquiétudes sur la crise que vit actuellement ce secteur. Il
nous montre que ce qui se passe actuellement n'est que la répétition
des affrontements et clivages qui ont traversé la psychiatrie depuis
la fin du XVIIIème siècle.

L'idée que le « fou » n'était peut-être pas
entièrement atteint, qu'il restait chez lui des parties « saines »,
qu'il y avait un sujet dans la folie, a été avancée et c'est sur
cette base qu'a pu s'élaborer le « traitement moral »,
s'adresser aux parties saines pour asseoir une influence bénéfique
sur les parties malades.

Mais cette idée (la « monomanie ») a été fortement
attaquée, soit on est fou, soit on ne l'est pas... mais il ne peut y
avoir de demi-mesures...

Les psychiatres de l'époque vont alors, pour donner à leur
discipline des assises scientifiques, se tourner vers la médecine et
chercher dans le cerveau les causes irréfutables de l'aliénation.
Ils vont, comme dit Jacques Hochmann, « découper des
cerveaux » mais ils ne trouveront rien...

Va alors se développer une autre idée pour définir
définitivement le fou, c'est l'idée de « dégénérescence »,
la « tare » se développe de génération en génération
dans des familles (comme par hasard les plus pauvres !) pour
arriver en bout de chaîne à l'idiot. Il faut donc empêcher à tout
pris la reproduction des « tarés », c'est l'eugénisme,
stérilisation, castration... 

Puis le regard de Freud sur les
symptômes va modifier ce point de vue, on va recherche le sens de ce
symptôme (Clérambault, Bleuler...), Meyer aux USA va s'intéresser
à l'histoire du sujet en pensant que peut-être la pathologie est
une réaction à un environnement pathogène, Sullivan va privilégier
au delà du diagnostic la relation avec le malade...

 

Mais peu à peu c'est l'idée même de
maladie mentale qui va se trouver mise en question, elle apparaît
comme un « mythe », une construction sociale,  seulement
vouée, disent ses détracteurs, à l'appréciation subjective du
psychiatre... Et bien sûr la psychanalyse est disqualifiée au même
titre (et ça continue!)

Et va donc se reproduire le même
mouvement... les psychiatres en mal de reconnaissance scientifique et
de certitudes vont chercher à prouver que c'est scientifique. On va
faire des recherches biologiques qui, comme les « découpages »
de cerveaux ne donnent pas de résultats probants (mais on continue
toujours à chercher une origine biologique unique et exclusive de la
pathologie mentale!) et on va « classer » les maladies
pour se donner l'illusion de la scientificité.

La notion d'empathie, cette possibilité
d'approcher subjectivement le vécu du malade est annulée au profit
d'une seule perception « objective » des troubles, c'est
à dire une description des symptômes qui vont être classés et mis
en statistiques pour donner un diagnostic (c'est le DSM!). On va bien
tenter de faire décrire au malade ce qu'il vit (s'il le peut!) mais
c'est à l'aide de questionnaires orientés et prédéterminés quand
à ce qu'on recherche.

 

Et, nous explique Jacques Hochmann en
fin de journée, se profile aujourd'hui le DSM V qui va abandonner
l'optique catégorielle pour une optique « dimensionnelle »,
c'est à dire qu'un trouble mental ne sera plus défini dans une
catégorie à l'exclusion d'une autre car on a mesuré la porosité
de ces catégories statistiques (c'est ainsi que ce sont multipliées
les notions de « troubles apparentés »)

L'optique « dimensionnelle »
englobera des notions très larges de troubles ( par exemple les
troubles de l'adolescence, addictions, syndrome apathique, ou trouble
du « spectre » autistique...) à l'intérieur desquelles
on définira des degrés... entre par exemple une « psychose
atténuée de l'adolescence » (grosso-modo une crise
d'adolescence un peu rude!) et l'apparition d'une pathologie
schizophrénique grave à l'adolescence...

 

Ce qui est frappant dans la
démonstration de Jacques Hochmann est l'insistance à répéter les
mêmes impasses dans lesquelles on conduit les tentatives anciennes
d'enfermer la psychiatrie dans des certitudes pseudo-scientifiques et
dans la prédiction du devenir du malade mental (il n'y a qu'à voir
aujourd'hui la manière dont on recherche les preuves de la
dangerosité du fou!)

 

Quelle belle journée, pleine d'un
savoir ouvert, partagé qui nous a fait pour un temps penser avec
Jacques Hochmann... sous le soleil de Canet en Roussillon dans un
lieu qui porte un nom prédestiné : « l'écoute du
port » !

Merci Monsieur Hochmann. 

 



01/12/2011
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